lundi 2 juillet 2007

Lettre Entrouverte

Lettre entrouverte

Un dimanche soir. Dimanche 2 juillet. La journée durant je m'étais mise en léthargie pour tenter de restaurer un muscle cardiaque en bandoullière... Le soir venu, je songeai qu'il fallait tout de même s'alimenter un peu et "couper" ce jeûne transculturel... Alors, je fis un détour chez mon ami berbère, épicier vespéral de son état.

Dans la boutique, une foule inaccoutumée zigzagait entre les rayons, se bousculant avec la fausse déférence qui sied aux gens du 7e arrondissement de Paris. Hommes et femmes en short long et beige, toujours beige, petit maillot "Lacoste" made in je ne sais où, le cheveu coupé au carré sur le carré de la nuque, bague unique et chevalière unique arborant d'étranges armoireries. Mâles et femelles accompagnés d'enfants à l'identique: petit short beige, petit maillot....
Je notai que le rayon vins était le plus assiégé: rosé, rouge, blanc, les bouteilles partaient.

- Qu'est-ce qu'il se passe ce soir, que se passe-t-il?
- C'est la finale, murmura l'épicier.
- Quelle finale?
- Mais la coupe d'Europe!
- Et qui joue?
- France-Italie.

Il est vrai que je vis et vivrai encore sans football. Pourtant, le mot Italie eut une curieuse résonance. c'est vrai que le restaurateur italien dont la gargote est mitoyenne de "Présence Africaine", est particulièrement désobligeant depuis quelque temps. Sa dernière bavure remonte à la semaine dernière: nous étions encore à table que la facture était déjà parvenue à la comptable de "Présence". Et puis, certains jours, c'est un humour qui crisperait un mort.
Pourtant, tous les étés venant, nous lui concédons notre morceau de trottoir. Et ses tables bancales et ses parasols de guignol déparent alors notre vitrine et lui font terrasse. Ses tablées masquent nos livres dès 19 heures. Je me surpris à penser qu'il leur fallait une bonne raclée... Au foot.

Radio RFI. Les noms de nègres et d'arabes valses sur les ondes, côté français.
L'Italie, elle, s'adonne à son sport favori: le mauvais jeu, les coups bas et retors qui poussent à l'agacement extrême et vous exhortent à "la faute". Je songeai à nouveau à notre voisin italien.
L'Italie menait grand jeu. Le speaker annonça la défaite des français. Et tout d'un coup Vodoum8 Une fraction de seconde et le jeu bascula. Pour la première fois, je suivais un match: de football, à la radio, avec une délectation jubilatoire. Vodum! Le second coup fut porté à la face de l'arrogance et de l'impudence.
En parfaite synchronisation, les hurlements des speakers, de la foule, se mélèrent aux klaxons de la rue et aux vociférations joyeuses qui déchiraient l'air tiède de ce soir de juillet.
Ce tintamarre augurait que la nuit serait difficile pour une accro du sommeil comme moi.
Je décidai donc une petite promenade.
lentement j'ai descendu l' avenue des Invalides. Des feuilles jonchaient le sol. C'est vrai, il y avait eu une petite tornade dans l'après-midi, une humeur de ma jumelle Oya(*).
Mais les feuilles étaient jaunes et dans l'air un automne précoce me chatouillais les narines.
Automne ou déclin? Difficile de se laisser aller à l'exercicie d'une reflexion sur les saisons quand des voitures, coffres ouverts et remplis d'humains roulent à tombeau ouvert, rasent le trottoir et quand le trottoir sert de scène à un théatre d'extravagances. La plupart des bolides étaient conduits par des femmes. Les hommes ayant sans doute copieusement arrosé et le match et la victiore ont dû céder le volant. Et c'étaient des femmes surexcitées et sures d'avoir leur "tir au but" dans la nuit, de voir rentrer des ballons par leurs hommes bourrés d'adrénaline.

J'allais me laisser envahir par l'émotion que me procurait l'allégresse de ces gens quand je réalisai qu'ils étaient presque tous porteurs de la même étoffe: ce bleu, ce blanc et ce rouge cousus de fil blanc... Mon sourire intérieur se mua brutalement en sanglots silencieux. Exhibitionnisme. Ce bleu, ce blanc, ce rouge, ce linceul posé sur nos nations qu'ils se complaisaient à appeler ex-colonies, anciens protectorats.
Non décidément, ce n'était pas "ma victoire". Ce drap tricolore aura eu raison de ma léthargie. Fous! Dans la poussière de l'arène, taper dans la tê^te coupée qui roule, qui roule faisant du sable et du sang de l'immolé, un ciment d'histoire...
Aujourd'hui, taper dans une tête de cuir. Quoi de neuf ? La rage est la même. Au nom d'un drapeau, c'est encore une mise à mort.

Je pris le chemin du retour, quand, insolite, deux infirmères sortirent de l'Hôpital Necker-Les Enfants Malades et se précipitèrent chez un épicier encore ouvert pour se rallier à tous ceux qui se pourvoyaient en bibine pour fêter "La France".
Alors, oubliée ma rancoeur du voisin restaurateur. Le souvenir du match Nigéria-Cameroun au Nigéria s'imprima. J'avais été soulagée, rassérénée que le cameroun l'emportât sur la terre du Nigéria, et caréssé le rêve qu'un jour le Nigéria vienne à son tour à gagner contre le Cameroun, sur la terre du Cameroun.
Pour la paix... une coupe...des nations... sans drapeau.

Lucie-Mami Noor
2 juillet 2000

Ceci est la copie exacte d'un texte de Lucie...
(*) Je fais actuellement des recherches sur Oya, qui me semble être "lesprit" attribué à Lucie par ses tantes au village... Mais rien n'est moins sûr !
L'enquête est en cours !

Oya Mamoune ! Oya Maman! Je pense fort à toi